(Avec l’aimable autorisation et collaboration de Pierre et Yves FORNER, ses frères.)

Bernard est né à RUFISQUE, prés de DAKAR au SENEGAL en A.O.F. Sa maman est entourée de ses deux premiers enfants, Pierre 4 ans et Yves 2 ans. Son papa, officier d’un régiment de tirailleurs sénégalais est parti en mission depuis deux jours .C’est la guerre ! Il convoie, sur un transporteur de troupes, encadré de pétroliers d’accompagnement, des soldats à destination de l’Afrique du nord, puis de la Corse.
Ce Mardi 20 Avril 1943, au lever du jour, en pleine mer, l’armada de 42 navires se trouve à 30 milles nautiques du port d’ORAN. A 6 h 47 au large de MERS EL KEBIR, un sous-marin Allemand torpille le bateau français « Le Sidi- Bel- Abbes ». Il n’y aura que très peu de survivant, dans cet enfer d’eau et de feu. Le paquebot coule en quelques minutes. Il faudra des heures d’efforts aux secours, pour récupérer les rescapés, dont beaucoup sont blessés ou brulés par le mazout. A 11 h 45, le lieutenant Joseph FORNER, 33 ans, est porté disparu.
Ce sportif généreux ,qui fut champion d’ALGER de WATER POLO en1937, sera aussi arbitre de football de la ligue d’ALGER, jusqu'à son départ sous les drapeaux.
Bernard devient dès sa naissance « pupille de la nation ».

Six mois plus tard, sa courageuse maman, rejoint ALGER. Elle aménage avec ses trois gamins dans un appartement réquisitionné par l’armée au quartier BELCOURT, et ce jusqu’à la fin de cette guerre mondiale. Hermine FORNER a le statut de veuve de guerre et ses enfants sont pupilles de la nation. Mais, désemparée, elle décide de se rapprocher de sa famille et s’installe en 1946, aux « Tournants ROVIGO » (quartier populaire d’ALGER prés de l’OPERA et du square BRESSON),  au 18 de la rue LEVACHER.
Bernard est inscrit à l’école DORDOR, rue DUPUCH qu’il fréquentera, ainsi que ses deux frères, et ce jusqu'à l’âge de 15 ans.
En MAI 1959, il se présentera au concours d’admission à l’école de l’air du CAP MATIFOU, ou il sera reçu avec 65 autres élèves sur un total de 600 postulants.

Bernard a16 ans. Il découvre comme tant d’autres la rigueur de l’internat. Très discret, réservé et poli, il  lui faudra plusieurs semaines avant d’adhérer aux échanges, débats ou face à face de ses compagnons de classe dont certains deux fois plus grands que lui, provoquaient déjà une liesse générale.
En classe, son bureau du premier rang, qu’il se réservait, laissait paraitre un élève studieux et appliqué, mais aussi une place indiscutable et obligée devant certaines « armoires à glace » qui composaient cette promo.
Peu en vue dans les compétitions collectives et sportives, internes de l’école, aucun n’aura oublié son comportement et ses qualités aux épreuves de gymnastique au sol ou il obtenait les meilleures notes du groupe.
Le « P’tit FORNER » comme nous l’appelions au début de notre internat, deviendra affectueusement, Bernard, notre protégé à la fin du cycle scolaire.

Bernard est maintenant en TM, il prépare son baccalauréat technique, malgré les difficultés de l’époque dans une classe remaniée car désertée par de nombreux élèves. Certains professeurs ont aussi des difficultés à venir enseigner. Bernard est toutefois très préoccupé : sa maman est à ALGER ou règne l’insécurité, son frère cadet au service militaire dans le sud Algérien, et son frère ainé qu’il n’a plus vu depuis plusieurs mois, vient d’être démobilisé.
Après deux trimestres d’année scolaire, il a hâte que PAQUES arrive pour retrouver toute sa famille.

Cité CELLIER à HYDRA (hauteur d’ALGER). Le 22 Avril 1962…
…Ce matin, la famille est réunie à l’exception du cadet, encore sous les drapeaux. Il fait beau à ALGER, les fenêtres sont grandes ouvertes. PIERRE en profite pour peindre la chambre de ses frères. La maman est dans la cuisine, en train de préparer le repas :

...Il faut acheter le pain, BERNARD, tu t’en charges ? dit elle.

BERNARD part donc acheter le pain à la boulangerie en face de l’immeuble. Ce nouveau magasin alimente le quartier depuis quelques mois, après l’installation des derniers habitants de la cité.
Soudain, des rafales de mitraillettes, des cris retentissent. La famille FORNER accourt à la fenêtre, angoissée. Il y a un attroupement dans la rue. PIERRE, inquiet, dévale les escaliers et se précipite dans la boulangerie…
…BERNARD est là, parmi d’autres victimes, étendu au sol, sur le dos, un impact visible sur la poitrine et une blessure au visage. A genoux, PIERRE, bouleversé, le prend dans ses bras, le soulève .Il a l’impression qu’il dort. Le docteur de la cité accourt, aussi. Hélas, il ne peut plus rien faire.
BERNARD sera enterré au cimetière d’EL-ALIA (Maison-Carrée), prés de son grand-père MICHEL.
La famille FORNER  sera rapatriée le 29 JUIN 62. La maman est décédée en Janvier 93, en gardant en elle-même le souvenir de ses deux êtres chers, son mari et son jeune fils qui par un cruel destin sont réunis par des dates identiques dans le temps :
Lieutenant Joseph FORNER, mort pour la France le 20/04/ 1943.
Bernard FORNER ….                                         Né le 20/04/ 1943, mort le 22/04/ 1962.
Paix à leurs âmes.

Incompréhensions et désespoirs hantent encore nos mémoires d’élèves, révoltées en même temps de voir que ce tragique événement a ôté la vie de notre ami BERNARD à l’âge de 19 ans, un garçon si gentil et brillant, dont l’image, les années passées ,reste gravée pour toujours en nos cœurs.

Francis SINTES.
Golfe-Juan le 8 Octobre 2008.
(Avec l’autorisation de Pierre et Yves FORNER, et la collaboration de tous les camarades de classe de la Promo 59-63, qui se souviennent du P’tit FORNER.)